31 mai 2022 • ACTUALITÉS

Le sol : cet écosystème méconnu mais essentiel

    Vous pouvez marcher, courir, vous allonger dessus tous les jours… Mais avez-vous conscience de l’importance des sols ?  Cette jonction entre air et terre regorge d’éléments essentiels à la bonne santé de la terre. Bactéries, champignons, matière organique, feuilles mortes, microorganismes, insectes… vous ne le savez peut-être pas, mais le vers de terre a un rôle indispensable au bon équilibre des sols ! Ce sol riche joue un rôle essentiel à la vie en forêt. Sans eux, les arbres n’auraient pas assez de nutriments, d’eau ou encore de protection.  Pourtant, les sols du monde sont aujourd’hui en mauvaise santé, ce qui représente une grande menace pour les écosystèmes qui dépendent de leur équilibre, dont les Hommes.  “Pas moins de 95% de la production alimentaire mondiale dépend des sols.” (FAO, 2022)  Cet écosystème spécial est mystérieux : découvrons ensemble dans un article écrit en partenariat entre l’association Planète Urgence et le CIRAD-Madagascar, centre international de recherche agronomique pour le développement, pourquoi les sols vivants portent si bien leur nom.   

Le sol vivant : le socle des forêts 

  L’arbre, est un acteur majeur de la création du fonctionnement de l’écosystème du sol, grâce à ses feuilles et ses racines.1  La forêt a naturellement un sol vivant, peuplé d’organismes différents et complémentaires ayant chacun des fonctions spécifiques. Grâce à leurs racines qui se développent en profondeur2, les arbres peuvent prélever les éléments minéraux sur tout le profil de sol3 et les restituent en surface grâce à la décomposition des feuilles tombées au sol et celle de leurs racines fines mortes. Cette décomposition est assurée par la faune et les nombreux micro-organismes du sol permettant la libération d’éléments minéraux mis à disposition des plantes et la constitution d’humus, réserve de nutriments.. Au-delà de cette matière organique qui représente un puit de carbone efficace, les sols ont de nombreux autres bienfaits :  
  • Ils filtrent l’eau  
Avec les racines des arbres, les réseaux de champignons et les micro-organismes, le sol absorbe l’eau comme une éponge et la filtre, qui atteint et recharge finalement les nappes phréatiques. Quand les forêts sont abîmées, la capacité du sol à stocker l’eau, à la filtrer diminuent4.   
  • Ils représentent un refuge pour la biodiversité  
Le sol est avant tout un milieu vivant car il contient plus d’un quart des espèces animales et végétales connues sur notre planète5. Le bois mort, très présent sur le sol forestier, joue également un rôle important puisqu’il abrite des milliers d’espèces de champignons ! Cet habitat original contribue au cycle des nutriments de la forêt : le bois en décomposition est en effet l’habitat de la moitié des jeunes arbres, des reptiles et insectes, des œufs d’abeilles sauvages et représente une source de nourriture aux animaux… Bref toute une liste d’avantages à ne pas négliger ! 
  • Les sols et les forêts : une interdépendance essentielle contre l’érosion 
  Les forêts fortifient et protègent le sol, de l’érosion notamment, grâce à leur réseau très étendu de racines.   A titre d’exemple, la mangrove est un écosystème forestier très utile pour lutter contre ce phénomène d’érosion. Cette zone tampon entre la terre et la mer de par l’enchevêtrement des racines et des troncs, forme une barrière naturelle qui limite l’impact des catastrophes maritimes (raz-de-marée, tsunamis, ouragans). Ces mêmes racines empêchent également les sédiments (dépôt de particules et restes de matières organiques) d’être emportés par les vagues en les absorbant pour s’en nourrir. La nature est bien faite car, résultat, la mer est “nettoyée” et surtout l’érosion est limitée6 !  Protéger les sols, c’est également les rendre fertiles et donc accueillants pour la culture. Un avantage considérable donc pour l’agriculture, qui a besoin de terres cultivables et hospitalières pour ainsi avoir un rendement agricole suffisant.   Près de 90% des sols à travers le monde sont menacés d’érosion d’ici 2050, prévient l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, 2022).  Malgré tous ces bienfaits, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) estime que 40 % des terres libres de glace sont désormais dégradées, ce qui affecte directement la moitié de l’humanité (rapport publié le 27 avril 2022, Perspectives foncières mondiales (Global Land Outlook))7. Cette détérioration de nos sols n’est pas anodine : les phénomènes climatiques extrêmes vont se répéter (sécheresses, incendies de forêts, tempêtes de sable, etc.), et les humains n’auront notamment plus accès aux ressources naturelles pour leur survie (médicaments, nourriture, etc.).   
Coin des petits  Parce qu’une image vaut plus que des mots, regarde comment les sols interagissent avec le reste des éléments de la nature !    Schéma réalisé par l’association APAD (Association pour la Promotion de l’Agriculture Durable)             Bon à savoir : 
  • 70% des antibiotiques que l’on utilise ont été mis au point à partir d’organismes issus du sol ! (FGP) 
  • 95% de notre nourriture provient directement ou indirectement de la terre, selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). 
                     
   

La dégradation des sols va de pair avec la dégradation des forêts 

  La dégradation des sols n’intervient pas de façon soudaine mais survient graduellement à la suite de diverses pratiques, dont la déforestation, principal fléau de leur destruction.  On estime la perte de surface forestière tropicale dans le monde à environ 10 terrains de football toutes les minutes (chiffres du Global Forest Watch, publiés le 28 avril 2022). La déforestation, nous le savons, est la disparition des écosystèmes forestiers, due aux phénomènes naturels ou suite à l’activité humaine. La principale cause de cette perte des forêts reste l’expansion agricole pour les cultures, responsable à 80% de la déforestation mondiale.   Or, cette déforestation engendre une surexposition des sols à l’érosion et favorise également la baisse de leur productivité. Les mauvaises pratiques agricoles comme l’exploitation intensive, la réduction de la durée des jachères ou une mauvaise utilisation de l’irrigation sont des facteurs de dégradation des sols fertiles.  Cet appauvrissement du sol n’entraîne pas uniquement une terre moins fertile pour la flore et la faune subsistant grâce à elle, mais aussi un phénomène répandu représentant un indicateur clé de la santé des sols : la désertification.  Ce phénomène n’est pas seulement l’avancée du désert comme ce qu’on pourrait a priori penser, mais correspond à la diminution progressive de la santé des sols et un appauvrissement de la vie qu’ils hébergent. Divers facteurs peuvent en être à l’origine, telles que les variations climatiques et les activités humaines. Cette destruction des sols traduit une perte de leur fertilité et a donc des conséquences négatives sur l’environnement et sur les conditions de vie des populations9  Cette désertification n’est pas sans conséquences, notamment pour les populations :  
  • Elle impacte la sécurité alimentaire en réduisant l’accessibilité et la disponibilité des ressources en eau, des terres cultivables, des pâturages et des ressources forestières, 
  • Elle peut entrainer des tensions accrues (voire conflits politiques, économiques, sociaux, etc.) autour de l’usage de ces ressources 
  “La terre devenant plus aride, elle se dégrade. Cela favorise les sécheresses, les incendies, la désertification, ainsi que la pollution de l’air par la mort des plantes et des arbres absorbeurs du CO2 atmosphérique, responsables du changement climatique.”10    Le sol est donc un enjeu essentiel de conservation car il a tendance à devenir de plus en plus hostile pour la vie qui s’y trouve (désertification, appauvrissement, infertilité, etc.). L’une des solutions qui apparaît comme efficace face à cette réalité accablante est l’agroécologie et notamment l’agroforesterie : une pratique qui associe les arbres, les cultures sur un sol couvert et/ou les animaux sur une même parcelle agricole. En termes agronomiques, cette technique s’inspire du modèle de la forêt et présente de nombreux avantages : agriculture performante et durable, pratique en faveur de l’environnement, lutte contre l’érosion des sols. Et tout cela avec un sol vivant !    Le cas de Madagascar  L’agroforesterie peut être définie comme l’ensemble de pratiques associant de manière simultanée ou séquentielle des cultures agricoles et des arbres afin d’obtenir des produits ou des services utiles à l’homme. L’agroforesterie constitue une stratégie pour atteindre la sécurité alimentaire et l’adaptation au changement climatique en Afrique (Mbow et al., 2014). Si la production globale des systèmes agroforestiers peut être inférieure à celle des monocultures, ce mode d’exploitation présente de nombreux avantages : 
  • une diversification des ressources (vivrières, cultures de rente, bois, médicaments…) ; 
  • des systèmes moins vulnérables aux aléas climatiques et économiques ; 
  • de nombreux services environnementaux : préservation de la fertilité des sols et des ressources en eau, prévention de l’érosion, stockage du carbone et conservation de la biodiversité. 
Les arbres améliorent le (micro) climat en modérant les températures et augmentant l’humidité de l’air. Ils protègent le sol contre l’érosion éolienne (brise-vents), en même temps qu’ils favorisent l’infiltration de l’eau et diminuent le ruissellement. Ils fournissent des engrais verts pour les cultures d’accompagnement et du fourrage pour les animaux qui peuvent profiter aussi de leur ombrage (Verheij, 2003) (Figure 1).      Figure 1 : Interactions entre des arbres, des végétaux, animaux et les êtres humains. Source : L’agroforesterie, Ed Verheij, 2003.  Si les Systèmes Agroforestiers (SAF) sont pratiqués de longue date sur la côte Est de Madagascar, comme ceux à base de girofliers, ils commencent juste à se développer sur les Hautes Terres. Dans cette région, la déforestation et la répétition des cycles de culture après brûlis ou labour de jachères de plus en plus courtes, avec de faibles fertilisations organiques et/ou minérales ont entraîné un appauvrissement marqué des horizons superficiels, les seuls contenant de la matière organique et ayant une potentielle fertilité. L’extension de ces surfaces dégradées est responsable de rendements agricoles de plus en plus faibles entraînant la colonisation de nouveaux espaces en parallèle à l’augmentation croissante de la population. Dans ce contexte, les SAF apparaissent comme des pratiques à promouvoir car protégeant les sols, accessibles aux paysans et pérennisant leurs activités.   Trois types d’agroforesterie ont été identifiés : jardin d’agrumes (46%), cultures (manioc, riz pluvial) intercalées avec l’Eucalyptus (44%) et cultures intercalées avec le caféier (10%) (Rasoarinaivo, 2021). Dans le cadre de l’association d’Eucalyptus et de cultures intercalaires, les SAF permettent aussi de limiter la divagation des animaux au sein des parcelles de reboisement, de réduire les risques d’incendies (éliminations du tapis herbacé) et d’augmenter le stockage du carbone dans le sol. Ils représentent aussi des sources de nourriture et/ou de revenus supplémentaires pour les familles.     Mbow, C., Van Noordwijk, M., Luedeling, E., Neufeldt, H., Minang, P.A., Kowero, G., 2014. Agroforestry solutions to address food security and climate change challenges in Africa. Current Opinion in Environmental Sustainability 6, 61–67.  Verheij, E., 2003.L’agroforesterie, série Agrodok No. 16, Wageningen, ISBN Agromisa: 90-77073-42-6.    Rasoarinaivo, A R. 2021. Influence de l’agroforesterie sur la dynamique de séquestration du carbone des sols ferrallitiques : Cas des régions Itasy, Alaotra Mangoro et Analanjirofo de Madagascar. Thèse de Doctorat en Sciences Agronomiques, Université d’Antananarivo, Ecole Supérieure des Sciences Agronomiques     

Lutter contre la désertification des sols : l’exemple des projets Planète Urgence et du CIRAD 

  Planète Urgence agit contre la désertification notamment à travers deux projets, l’un au Cameroun et le second à Madagascar, où les espaces dégradés font peu à peu place à des sols très fragilisés et surexploités.  Le projet FARE est coordonné par Planète Urgence et mis en place par son partenaire sur place le CERAF-Nord. Il est basé dans la région Nord du Cameroun. Il vise la restauration des écosystèmes dégradés du Parc National de la Bénoué grâce à l’agroforesterie et donc la résilience des communautés locales. Grâce au reboisement d’anacardiers (arbres à noix de cajou), ces espaces dégradés sont ainsi réhabilités par une essence extrêmement résistante aux fortes chaleurs et sécheresses, phénomènes destructeurs des sols. La plantation de flore locale contribue à la lutte face aux changements climatiques et garantit également une source de revenus complémentaires aux populations grâce à la filière commerciale de la noix de cajou.    Chiffres clés FARE  En 2021, 109 116 arbres ont été plantés, dont 101 860 plants d’anacardiers et 7 256 plants d’essences indigènes (Acacia nilotica, Balanites aegyptiaca, Faidherbia albida et Afzelia africana). Le projet a contribué à appuyer 1 360 producteurs, dont 914 nouveaux par rapport à l’année précédente, et dont 300 femmes.    Le Parc National de la Bénoué (PNB) est très sujet à la désertification suite à la dégradation des sols, notamment par la déforestation, l’exploitation massive ou encore les phénomènes climatiques extrêmes (chaleur, sécheresse, etc.). Cette destruction progressive empêche donc la bonne santé des végétaux susceptibles de pousser dans cette zone.  Cette cruelle absence de végétaux se remarque même du ciel ! Voici quelques images satellitaires du parc national prouvant cette désertification.    Le PNB est situé dans la région Nord du Cameroun est fait partie d’un écosystème précis entre 2 autres parcs alentours. La zone d’intervention de Planète Urgence se situe dans une partie de ce parc et également sa périphérie (voir zone en rouge).    Si nous regardons l’image satellite du parc de la Bénoué en 2010, nous remarquons que le couvert forestier de la zone d’intervention y est présent.      La situation en 2020, quant à elle, est plus critique : nous voyons bien que la zone forestière a disparu en une décennie sur la même zone.    L’intervention de Planète Urgence est donc en faveur de ce reboisement d’essences locales, dans le but d’augmenter la couverture forestière du Parc National de la Bénoué, enjeu majeur de la conservation de la nature.    A Madagascar, le Cirad contribue depuis plusieurs décennies à des projets de gestion forestière. Le dernier en date « Arina » (charbon de bois en malgache) sur financement européen a visé à renforcer la filière bois-énergie pour l’approvisionnement en bois de feu et charbon de bois d’Antananarivo (> 90% des ménages urbains sur la Grande Île utilisent cette source d’énergie pour la cuisson des aliments). De nouvelles plantations, la divulgation de Techniques Améliorées de Carbonisation (TAC) qui double le rendement par rapport aux techniques traditionnelles et celle de Foyers Améliorés à meilleure efficacité énergétique ont permis de diminuer la pression sur les Forêts Naturelles.   Entre 2015 et 2019, ce sont ainsi 2590 ha de plantations villageoises (soit 2 850 000 arbres) à vocation bois-énergie (eucalyptus et acacias) qui ont été ainsi installées par près de 3000 reboiseurs sur le district d’Anjozorobe, à 100 km au Nord de la Capitale. Les plants ont été fournis par 19 pépiniéristes villageois formés par le projet.    Projet ARINA – Pépinière villageoise dans la commune de Betatao, district dAnjozorobe, Madagascar     Les techniques appliquées (trouaison manuelle de 40 cm x 40 cm x 40 cm pour décompacter le sol et favoriser la pénétration de l’eau, nettoyage des mauvaises herbes pour limiter leur concurrence sur les plants, protection contre les feux, …) sont simples, efficaces, éprouvées et aisément reproductibles par les populations locales. Les sols étant très pauvres, un peu de fertilisation a été apportée à la plantation. Les arbres peuvent ainsi bien s’installer, se développer et assurer un cycle biologique performant, gage d’amélioration des sols.         Nous l’avons vu, la bonne santé des sols détermine celle des forêts. Ils contiennent les nutriments nécessaires pour les arbres, leur croissance et donc leurs bienfaits. La sécurité alimentaire et la lutte contre la réduction des ressources en eau est ainsi dépendante de notre utilisation des sols et de la capacité de nos sociétés à les préserver. Tout est encore possible : en améliorant notre consommation, diversifiant les cultures ou encore privilégiant les matières organiques et durables pour les rendements, nous avons le pouvoir de réhabiliter les sols forestiers !    

Agissez avec Planète Urgence en faveur des écosystèmes forestiers 

   

Sources – Webographie :

     

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