9 junio 2021 • ACTUALITÉS
Lucha contra la deforestación: lo hablamos con un experto
L’actualité de cette dernière année a été fortement perturbée par la crise sanitaire du COVID-19, qui est représentée comme une véritable prise de conscience par tous sur la santé très fragile de notre planète. Émergence de nouvelles maladies, zoonoses, lien entre maladies infectieuses et activités humaines… Un an après les premières mesures drastiques mondiales face à ce virus, qu’en est-il vraiment de son origine ? L’Homme, et notamment ses activités à forte pression sur les forêts, est-il directement mis en cause dans cette situation ?
Serge Morand est un chercheur au CNRS-CIRAD, enseignant à la Faculté de médecine tropicale de Bangkok (Thaïlande) et écologue vivant en Asie du Sud-Est. Son dernier livre paru en septembre 2020 L’homme, la faune sauvage et la peste (Fayard) présente les principales causes de l’apparition de nouvelles maladies infectieuses (dont le COVID-19), dont notamment la déforestation et la surexploitation de nos forêts mondiales.
Planète Urgence : Débutons par le commencement : quels sont les rôles des forêts et de la biodiversité pour l’Homme ?Serge Morand :
« La forêt est un élément essentiel de la régulation du climat local et global.[1] ».
De nombreuses études scientifiques démontrent l’importance des forêts pour la régulation du climat, mais également pour la santé des sols ou la qualité des eaux de surface et souterraine. En ce sens, les forêts contribuent à la santé planétaire. Les forêts multi-spécifiques sont riches de biodiversité pourvoyeuse de ressources importantes pour les populations locales et plus largement pour l’humanité toute entière. Les forêts en fournissant des services écosystémiques variés, supports de nombreuses activités humaines, contribuent à la santé et au bien être humain. Pourtant, la déforestation se poursuit dans de nombreux pays, principalement de la zone intertropicale. Les impacts de la déforestation sont très perceptibles pour la santé planétaire. « Déforestation et feux de forêts contribuent à accroître la contribution négative des forêts au changement climatique.[2] » Les travaux scientifiques sont alarmants. La dégradation des habitats, et en particulier des forêts naturelles, entraîne une accélération de pertes de biodiversité. On parle d’une véritable défaunation de certains écosystèmes forestiers, quand ce n’est pas leur disparition par les effets combinés de l’agriculture intensive, extractive et industrielle. Les rapports de l’IPBES de 2019, Planète Vivante du WWF de 2020, et Forêts de la FAO en 2020 montrent que nous avons atteint un point critique de régénération des forêts naturelles comme de la biodiversité. Les modes de vie, les cultures et savoirs des sociétés traditionnelles et indigènes sont également fortement menacées par cette grande accélération des activités extractives globalisées. We find that the increases in outbreaks of zoonotic and vector-borne diseases from 1990 to 2016 are linked with deforestation, mostly in tropical countries[3]. La santé des populations locales et globales est également mise en danger par de nouveaux risques épidémiques. La baisse des couvertures forestières s’accompagne souvent d’une augmentation de l’élevage. Une plus grande densité d’animaux d’élevage a comme conséquence directe d’augmenter les débordements d’agents infectieux issus de la faune sauvage et d’amplifier leur transmission. Ces démarrages locaux de transmission, que l’on nomme clusters, ne restent pas localisés. La globalisation des échanges en pleine accélération assure une dissémination des épidémies qui de locales deviennent globales. Non seulement nous observons beaucoup plus d’épidémies causées par un nombre croissant d’agents infectieux et parasitaires, mais ces épidémies tendent de plus en plus à devenir des pandémies. D’autres changements des couvertures forestières ont également des effets néfastes pour la biodiversité et pour la santé. Il s’agit des plantations commerciales monospécifiques, comme le palmier à huile ou le teck, et l’afforestation, c’est à dire la transformation d’écosystèmes de prairies naturelles ou cultivées de manière traditionnelle en plantations d’essences pour le marché international. « […] association between the increasing number of outbreaks of vector-borne diseases and the increase of oil palm plantations[4] ». Là encore, les données montrent une corrélation entre l’augmentation des épidémies de maladies vectorielles et l’extension de ce type de plantations. On voit bien donc comme le global, avec les demandes extractives de ressources vivantes, accroit les débordements de pathogènes et les transmissions locales qui, en une sorte de boomerang, se transmettent ensuite à la planète entière.Quel est lien entre la déforestation et l’émergence de nouvelles épidémies ?Serge M. : Les exemples d’impacts de la déforestation sur la santé des humains sont nombreux. Une analyse comparative a montré que la déforestation favorise les moustiques qui servent de vecteurs de maladies humaines. L’association entre la déforestation et les épidémies de malaria a été documentée au Brésil comme en Asie du Sud-Est. La réémergence de maladies parasitaires, comme les leishmanioses transmises par les arthropodes vecteurs, a également été mise en relation avec la déforestation en Amérique latine. Plusieurs études ont également souligné le rôle de la déforestation forestière dans l’émergence de maladies zoonotiques comme la fièvre de Lassa et Ebola en Afrique. La déforestation et défaunation ne se limitent pas à la seule perte irrémédiable d’espèces. Et cela est déjà triste en soi. De nombreuses régulations écologiques sont affectées comme la prédation et la compétition. Des milieux appauvris favorisent les espèces généralistes et synanthropiques réservoirs, comme les rats, et les vecteurs, comme les moustiques ou les tiques, et avec elles de nombreux microbes et parasites potentiellement pathogènes pour les humains ou leurs animaux domestiques. Ces réservoirs et vecteurs libérés de la régulation par leurs prédateurs, comme les carnivores et les insectivores, voient leurs populations et densités s’accroître favorisant par la même la transmission d’agents infectieux. Les risques d’épidémies locales augmentent. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence une corrélation temporelle globale entre la baisse de couverture forestière et le nombre d’épidémies de maladies vectorielles et zoonotiques. Nous sommes encore loin de pouvoir expliquer les conditions de l’émergence du SARS-CoV2 à l’origine de la pandémie de COVID-19. Une chose est sûre est que nous avons un problème de relation avec la nature et particulièrement avec les animaux. D’un côté, nous avons de plus en plus d’animaux élevés pour la consommation, la fourrure, le marché des animaux de compagnie, et cela inclut les animaux de la faune sauvage. D’un autre côté, nous détruisons de plus en plus d’écosystèmes naturels ou traditionnellement entretenus comme les prairies et les paysages agro-culturels multifonctionnels. Nous créons les conditions idéales en affaiblissant les régulations écologiques dont les régulations de transmission des agents infectieux. En affaiblissant la résilience des écosystèmes, nous affectons la résilience de nos sociétés et des systèmes de santé publique ou vétérinaire.
Les épidémies sont-elles donc prévisibles selon nos actes ? va-t-on vers un chemin « de plus en plus d’épidémies » ?Serge M. : On connaît suffisamment pour savoir que la simplification et l’artificialisation des habitats comme l’expansion de l’agriculture et de l’élevage industriels sont néfastes pour la biodiversité, le climat et pour la santé des humains et des non-humains. Si on ne s’attaque pas sérieusement aux problèmes causés par un développement économique court-termiste insouciant de la planète et de ses habitants, alors nous allons au-devant de nouvelles crises sanitaires, mais qui accompagneront de crises écologiques et de crises sociales. Malheureusement, nous focalisons notre attention sur les conséquences, nous agissions uniquement en situation de crises, et souvent mal, et nos actions se limitent aux thérapies d’urgence en plaidant pour plus de biosécurité et de biosurveillance. Alors même que nous devons nous consacrer aux causes de ces dérèglements et pas seulement à leurs conséquences. « La déforestation massive, l’endiguement abusif des cours d’eau, la pollution de l’atmosphère, des eaux et des sols aboutissent à un désordre planétaire inédit marqué par la disparition d’un grand nombre d’espèces animales et végétales et mettant en péril la capacité de résilience des systèmes biologiques et naturels. »[5] Il est de temps de renouer avec le vivant, de comprendre que notre économie, nos liens sociaux, notre santé et notre bien-être dépendent d’écosystèmes fonctionnels et riches en biodiversité. L’espèce humaine ne peut vivre dans une société du risque global tentée par l’éradication d’un vivant « indésirable » et par la manipulation génétique du reste du vivant « utile » afin de l’adapter aux conditions « invivables » créées par un système économique court-termiste. Une social-écologie de la santé reconnaît la complexité dynamique des interactions entre les humains, leurs organisations sociales et modes de production économique, l’environnement, le climat, la biodiversité et y compris celle des microbes. La social-écologie est une ambition scientifique à même de contribuer au dialogue nécessaire entre citoyens et leurs associations, administrations, agriculteurs et éleveurs, agents économiques, politiques, afin de créer collectivement les territoires de vie partagés, écologiquement productifs et résilients pour la santé et le bien-être de tous, humains et non-humains.
« Si rien ne change, alors l’avenir est prévisible, avec de nouvelles pestes à venir. »[6]
Peut-on agir et réconcilier l’environnement et l’Humain ?Serge M. : La fenêtre d’action est étroite. Les organisations internationales des Nations-Unies contribuent toutes à la prise de conscience et à la mise en place d’un agenda d’actions. Ce sont d’abord les Objectifs du Développement Durable (ODD) ou les nouveaux objectifs pour la biodiversité. La société civile est également mobilisée. Même les grandes entreprises commencent à prendre la mesure de l’urgence. Les collectivités locales impulsent de nombreux projets que ce soient pour la transition écologique, le climat, la biodiversité. Il devient urgent de préserver les forêts mondiales, tropicales et tempérées, de penser à des objectifs de restauration des forêts et non pas uniquement de plantations forestières qui ne pourront contribuer au fonctionnement écologique, aux besoins immédiats des sociétés locales, à la santé planétaire comme à la santé des humains et des non-humains. Le thème de l’année 2021 pour la Journée Internationale des Forêts : «La restauration des forêts : une voie vers la reprise et le bien être» porté par l’ONU (FAO) et La Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes devraient fournir l’agenda des actions collectives à entreprendre. Les initiatives internationales ou nationales doivent se compléter par les actions collectives et individuelles. Renouer avec la Nature a des implications sur nos modes de vie, de déplacement, de consommation et d’alimentation. Il va s’agir de promouvoir une société de citoyens plus économes en ressources vivantes consommées, mais plus demandeurs en bienfaits psychologiques, de santé et de bien-être procurés par la Nature, la biodiversité, et les forêts.
Quel est selon vous le rôle des ONG comme Planète Urgence – qui renforce les communautés locales – pour préserver les forêts et la biodiversité ?Serge M. : Les ONGs, comme Planète Urgence, sont des acteurs intermédiaires indispensables entre différents mondes, politique, administratif, économique et de la recherche, qui ne travaillent pas assez ensemble pour le bénéfice des communautés locales et de leurs environnements naturels. J’aurais une mention spéciale pour les petites ONGs françaises qui portent un message et des valeurs différentes des grandes ONGs états-uniennes ou anglo-saxonnes en général. Elles mériteraient d’être plus reconnues et soutenues par les agences de développement françaises et européennes. On doit se poser la question d’une plus grande visibilité et d’un plus grand soutien aux ONGs françaises qui agissent à l’international. Les grandes associations françaises de défense de l’environnement ou de la biodiversité n’ont que peu intégré la nécessaire internationalisation de leurs activités afin de mieux répondre aux enjeux qui sont planétaires.
Question « bonus » : En avril dernier, Planète Urgence avait contribué à la consultation citoyenne du « Monde d’après » la pandémie du COVID-19 initié par Make.org, le Groupe SOS (dont fait partie Planète Urgence) ou encore le WWF… à quoi ressemblerait votre monde de l’après ?Si on ne réagit pas collectivement, le « monde d’après » sera celui du « monde d’avant » mais en pire. Le monde de demain se construira en faisant confiance à l’intelligence collective traduit par des initiatives locales porteuses de bien-vivre ensemble. Le monde de demain ne sera plus un monde dominé par une économie court-termiste destructrice des écosystèmes et créatrice d’inégalités économiques et d’injustices, mais un monde où l’économie sera centrale car remise au service du bien-être des humains et des non-humains. A propos de Serge Morand : Serge Morand est un chercheur au CNRS-CIRAD, enseignant à la Faculté de médecine tropicale de Bangkok (Thaïlande) et écologue vivant en Asie du Sud-Est. Son dernier livre paru en septembre 2020 L’homme, la faune sauvage et la peste (Fayard) présente les principales causes de l’apparition de nouvelles maladies infectieuses (dont le COVID-19), dont notamment la déforestation et la surexploitation de nos forêts mondiales. Sources et bibliographie : [1] MORAND S., L’homme, la faune sauvage et la peste, Fayard, p.217 [2] Idem, p.219 [3] MORAND S., LAJAUNIE C., Outbreaks of vector-borne and zoonotic diseases are associated with changes in forest cover and oil palm expansion at global scale [4] Idem, p.6 [5] GWENAËL VOURC’H, FRANÇOIS MOUTOU, SERGE MORAND, ELSA JOURDAIN, Les zoonoses, ces maladies qui nous lient aux animaux, éditions QUAE, février 2021 [6] MORAND S., L’homme, la faune sauvage et la peste, Fayard, p.102